Orn est un village logé sur le plus haut des cinq sommets d’Agonor. Un escalier interminable, seul chemin praticable, décourage souvent ceux qui évoque l’idée de se lancer dans l’ascension. De plus, ses marches sont souvent glissantes ou en partie manquantes, sans parler des vents violents et glacials des hauteurs.
De par sa position reculée et virtuellement hors d’atteinte, le village d’Orn n’est revendiqué par aucun des royaumes environnants. Les escarmouches lancées à chaque fois qu’un nouveau général un peu trop zélé est nommé à Toreigne ou Val Aereigne aboutissent inéluctablement à l’échec.
Quand des colporteurs un peu plus courageux ou du moins plus expert dans l’art de l’escalade que ces simples soldats font l’aller et retour, ils content aux villageois les dernières nouvelles en incluant, amusés, les déboires de ces généraux en manque de reconnaissance. A croire que l’ascension n’est possible qu’avec une noble intention.
Les Ornéens vivent en autarcie et cela depuis les temps immémoriaux. Ils favorisent l’épanouissement du milieu dans lequel ils vivent et y collectent le strict nécessaire se gardant de constituer quelque réserve que ce soit.
Avant que ce milieu devienne un cadre luxuriant et paisible, il n’était qu’un tas de pierres sur un plateau désolé et éclaté ci et là par un peu d’herbe sauvage et coupante. Selon la légende, un convois de prisonniers d’une cinquantaine d’hommes et de femmes aurait profité du voyage de la prison temporaire de Toreigne jusqu’à la cour de Justice de Val Aereigne pour échapper à la garde l’escortant. Cette dernière les auraient laissé entamer l’ascension du haut sommet sans lancer de poursuite se disant que la montagne se chargeraient de leur délivrer une sentence aussi mesurée qu’un juge de Val Aereigne.
Arrivés sur le premier des hauts plateaux, la quantité limitée de ressources, la faim et le froid les décimèrent à moitié les poussant ainsi à réexaminer leur façon de vivre en groupe s’ils souhaitait individuellement rester en vie. Le choix de la restreinte et du partage des ressources de manières à favoriser le lendemain fut pris à l’unanimité. Quitte à jeûner demain, autant le faire tout de suite. Avec un peu de chance et la volonté des dieux, le prochain repas se fera certainement dans une meilleure abondance.
Les rares animaux encore vivant passant par là furent capturés, nourris autant qu’il fut possible et protégés des éléments afin de repeupler le plateau en faune sauvage et de profiter de leur chaleur pour se garder du froid. Les fruits en nombres quasi inexistants se virent dépouillés de leurs semences afin d’en multiplier les sources. Chaque morceaux de nourriture passait au moins une fois dans chaque bouche avant d’être croqué. Le parfum sur la langue donnait à la tête la satisfaction d’un bon repas et la force de continuer le jeune collectif quelques jours encore.
De ces survivants ne restèrent qu’une quinzaine de personnes. Comme les herbes sauvages protégées du vent par les murets en pierre et la chaleur des animaux, ils commencèrent à voir leur nombres grandir à nouveau. Des arbustes d’abord et arbres ensuite créant au fur et à mesures des jours, des semaines et puis des années, une plateforme plus propice à accueillir la vie semée par le vent et ses créatures.
Cette façon insolite de partager la nourriture a laissé une trace dans la tradition ornéenne. Quand un Ornéen invite un étranger à manger sous son toit, il sert le repas dans un plat unique, avec un seul couvert qui passe de bouche en bouche plutôt que la nourriture elle même. Cette tradition est descendue jusqu’à Toreigne et en particulier lors du banquet du festival des Cinq Sommets.